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Tuesday, December 16, 2008
LA VRAIE VIOLENCE INDIENNE
J'ai toujours été effaré de l'image de non-violence dont bénéficie l'Inde alors que c'est probablement l'un des pays les plus violents du monde. Violent vers ses pauvres, vers ses minorités, vers ses jeunes filles et ses femmes, mais aussi - et surtout - ultra-violent par son système de castes qui interdit toute idée de réelle promotion sociale, et induit un mépris des plus pauvres assez terrifiant. Les conflits religieux et tous les massacres qui y sont liés (voir là et là) sont certes souvent très spectaculaires, mais pas forcément plus meurtriers que la violence quotidienne.
En Inde, tout le monde en a conscience, et ce sont les Indiens qui très souvent, et sans complexe, en parlent le mieux. Il faut lire notamment l'extraordinaire Maximum City, de Suketu Mehta qui est certainement le livre le plus intelligent et le plus honnête écrit sur Mumbaï. On est loin de l'imagerie traditionnelle de l'Inde pays tolérant et pacifique.
Tout ce vous ressentez en vous promenant dans Mumbaï, son inégalitarisme, sa violence sociale et religieuse, vous est expliqué dans ce livre. On en sort plus intelligent, et le slogan "Incredible India" y prend un autre sens que celui que voudrait lui donner le ministère du Tourisme. (édition française là)
Si je vous parle de cela aujourd'hui, c'est qu'il y a une quinzaine de jours, lors des attaques terroristes sur Mumbaï, j'ai été plus qu'étonné par la façon dont la presse a couvert l'événement et a immédiatement - et à juste titre - évoqué le Pakistan, mais sans donner beaucoup d'explications sur la situation actuelle de l'Inde.
Heureusement qu'une certaine presse indienne a fait le boulot, notamment en ressituant ces attentats dans le contexte d'une violence liée à son système social et religieux. J'en veux notamment pour preuve cet article intitulé Death Of A Salesman And Other Elite Ironies écrit par Tarum J. Tejpal dans l'excellent magazine Tehelka et dans lequel il s'adresse aux élites du pays et rappelle que "it has been evident that we are a society being systematically hollowed out by inequality, corruption, bigotry and lack of justice. The planks of public discourse have increasingly been divisive, widening the faultlines of caste, language, religion, class, community and region. As the elite of the most complex society in the world, we have failed to see that we are ratcheted into an intricate framework, full of causal links, where one wrong word begets another, one horrific event leads to another. Where one man’s misery will eventually trigger another’s."
Autre extrait "The first thing we need to do is to square up to the truth. Acknow ledge the fact that we have made a fair shambles of the project of nation-building. Fifty million Indians doing well does not for a great India make, given that 500 million are grovelling to survive. Sixty years after independence, it can safely be said that India’s political leadership — and the nation’s elite — have badly let down the country’s dispossessed and wretched. If you care to look, India today is heartbreak hotel, where infants die like flies, and equal opportunity is a cruel mirage.
Let’s be clear we are not in a crisis because the Taj hotel was gutted. We are in a crisis because six years after 2,000 Muslims were slaughtered in Gujarat there is still no sign of justice. This is the second thing the elite need to understand — after the obscenity of gross inequality. The plinth of every society — since the beginning of Man — has been set on the notion of justice. You cannot light candles for just those of your class and creed." (texte in extenso en français là)
Pour ceux qui veulent aller plus loin sur ce sujet, je ne peux que les encourager à lire ces deux excellents livres : "Le Défi indien" de Pavan K. Varma et "L'Inde à l'assaut du monde" d'Eve Charrin. Parmi toutes ses analyses sur l'influence du modèle indien sur le monde occidental, Charrin en souligne une qui fait réfléchir : "Sans nous en rendre compte, nous importons, en même temps que les logiciels conçus à New Delhi ou Bangalore, les caractéristiques de la société indienne : l'élitisme et les inégalités."
PS / Et pour découvrir la nouvelle littérature indienne, vous pouvez vous jeter sur "Tokyo : vol annulé", de Rana Dasgupta. Le pitch "Quand leur vol pour Tokyo est en fin de compte annulé, treize passagers se trouvent bloqués dans l'aéroport et décident de se raconter des histoires autour du tourniquet à bagages. Les voyageurs brodent et improvisent des fantaisies incroyables autour de leur vie en transit, chacune autour d'une ville : New York, Marseille, Delhi, Lagos, Paris, Istanbul, ..." Deux heures de bonheur et de rêveries garanties !