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Tuesday, February 09, 2010
WAR CITY - COMMENT MIEUX DÉTRUIRE ?
Et s'il existait toujours au coeur du désert de l'Utah un bout de la banlieue du Berlin des années 30 ?
Et si ce morceau de ville avait été construit par l'architecte allemand Erich Mendelsohn avec la Standard Oil et les décorateurs des studios de la RKO pour aussi bombarder Tokyo ?
Présentée comme cela, n'importe quelle histoire pourrait apparaître totalement absurde tant le mélange des genres semble assez improbable. Et c'est pourtant une l'histoire bien réelle que celle qui a réuni en 1943 ces différents acteurs autour d'une question toute simple : comment faire pour que les bombardements programmés de la Royal Air Force et de l'US Air Force sur les capitales allemande et japonaise soient les plus destructeurs et les plus meurtriers possible ? (voir là et là)
Et c'est cet épisode très méconnu de la seconde guerre mondiale que raconte avec brio Mike Davis dans le premier chapitre de "Dead Cities: And Other Tales" sous le titre de "Berlin's Skeleton in Utah's Closet".
Voilà le contexte de cette expérience urbaine un peu spéciale visant à construire au plus juste pour mieux détruire. "Ce que voulaient le Corps d'armement chimique, c'était une reconstitution "à l'identique" de tous les aspects de la conception et de la construction" des maisons berlinoises et tokyoïtes.
Et l'armée américaine était pressée. Malgré le terrifiant succès des milliers de raids aériens sur Cologne et Hamburg, ses alliés britanniques se montraient de plus en plus frustrés par leur incapacité à déclencher un incendie dévastateurs dans la capitale du Reich.
Les meilleurs conseillers scientifiques alliés recommandèrent avec insistance la mise en place d'un programme intensif d'expérimentation incendiaire sur des répliques exactes de logements ouvriers. Et seuls les Etats-Unis - ou plutôt les puissances combinées de Hollywood et de l'industrie du pétrole - avaient les moyens de remplir cette mission en l'espace de quelques mois seulement.
Le processus de conception et de construction eut lieu parallèlement aux recherches secrètes menées par l'architecte Antonin Raymond - qui avait travaillé au Japon avant la guerre - sur la manière dont les maisons japonaises réagissaient au feu. La zone de tests finale s'étendait sur plus de huit kilomètres carrés" (...)
(...) "Les constructions, en étroite collaboration avec des ingénieurs en protection incendie, accordèrent une attention extraordinairement minutieuse aux charpentes (dont le bois fut importé de zones aussi éloignées que Mourmansk, en Russie) afin que soient reproduites la gravité spécifique et le vieillissement des constructions allemandes plus anciennes. Lorsque les experts en incendie firent valoir que le climat de Dugway était trop aride, leurs homologues de la Standard Oil trouvèrent un moyen de garder le bois humide en demandant aux GI de simuler la pluie prussienne en arrosant les cibles."
"Dans le même temps, la fabrication du mobilier intérieur fut sous traitée à la Division authenticité de la RKO, les magiciens qui avaient réalisé les décors de Citizen Kane" (...)
(...) "Il ne leur fallu que quarante-quatre jours pour terminer le Village allemand et son équivalent japonais (douze appartements doubles entièrement composés d'hinoki et de tatami). Entre mai et septembre 1943, des bombes incendiaires à la thermite et au napalm furent larguées sur l'ensemble du complexe, qui fut ainsi détruit et reconstruit au moins trois fois de suite." (...)
(...) "Il s'agit d'un parfait exemple de l'approche scientifique que les Américains avaient de la guerre conçue comme "un immense projet d'ingénierie dont les processus fondamentaux sont aussi précisément calculés que les capacités de resistance à la pression d'un barrage ou à la tension d'un pont""
Le texte est lisible in extenso en anglais, là. Le livre en français, là.
Et pour ceux qui veulent aller plus loin sur cette incroyable histoire et sur la façon dont l'US Army a pensé la ville et les bâtiments, voir le site officiel de la base de Dugway, qui fait un retour très intéressant sur toutes les expériences qui y furent conduites officiellement jusqu'en 1989, autour, notamment, des armes biologiques et chimiques.
Voir aussi sur ce sujet des destructions urbaines, une très jolie réflexion mettant en parallèle les travaux de Mike Davis et l'oeuvre de W.G. Sebald, là.
Ce post est évidement directement liè à notre prochain Atelier sur les différentes façons dont les militaires peuvent être amenés à penser la ville.