De façon très régulière, sortent des études nous montrant combien les embouteillages automobiles sont des horreurs économiques et écologiques. IBM est un des grands spécialistes de ce genre d'études sur toutes les grandes villes mondiales, le tout accompagné bien évidement d'un discours sur les vertus de ses logiciels de gestion de trafic et de l'avenir radieux que nous promettent les smart cities. - voir "commuter pain".
Il y a quelques jours, c'est Inrix, elle aussi société spécialisée dans l'info trafic, qui révélait que "les embouteillages coutaient 56 milliards d'euros à la France, soit 623 euros par foyers" - détails, là.
Et la même étude de préciser que Paris concentrant 40 % des bouchons français, "chaque année, les conducteurs passent 57,8 heures bloqués dans les bouchons parisiens." Un Parisien passerait, ainsi, en moyenne "l’équivalent de près de deux semaines ouvrées dans les embouteillages." Toujours selon cette étude "rester immobilisé dans les bouchons à Paris coûte 11,7 euros de l’heure. En termes de coûts directs induits par les bouchons à Paris seuls font perdre 1,8 milliard d’euros à l’économie française."
Bref, le message est simple ; les bouchons sont des catastrophes.
- Sur le plan écologique, c'est une évidence.
- Mais sur le plan économique, en est-on si certains ?
On peut, en effet, aussi se dire que ce genre d'étude sur le coût économique des embouteillages sont complètement stupides et ineptes car elles supposent, d'une part, que les gens ne font rien en voiture (première ineptie !!) et, d'autre part, qu'au bureau les gens passent leur temps à travailler (deuxième ineptie !!).
On sait pourtant depuis un certain nombre d'années qu'aborder le travail et la productivité à travers le seul prisme du temps passé au bureau ne veut évidement plus rien dire (voir, "Work in process : c'est quoi un bureau ?").
Les bonnes idées naissent rarement au bureau, et c'est même a priori l'un des pires lieux pour travailler, réfléchir et s'isoler - voir "Office Workers Lose Focus Every Three Minutes" et "Works Place Distraction".
De plus aujourd'hui la voiture est devenue - comme beaucoup d'autres lieux - un lieux de réflexion (et donc de travail) à part entière. C'est une évidence que même une compagnie de taxis comme la G7 a compris, c'est dire ! Opposé de façon binaire "bureau" à "voiture" n'a donc plus grand sens !
Je ne vais pas revenir non plus sur l'idée que dans une société fondée sur la mobilité, les temps de la mobilité (comme les temps l'immobilité qui leur sont forcément liées) sont tout sauf, évidement, des temps morts ou non productifs.
Et dans les années qui viennent ce phénomène ne devrait que se renforcer avec la multiplication des terminaux nomades, sans parler à plus long terme du développement possible de la voiture à conduite automatique qui va radicalement changer la nature de l'automobile- voir là.
A ce stade je vous renvoie sur les vignettes qui débutent ce post et qui sont tirées de l'excellente bande dessinée "Les Mange Bitume : Chronique de la civilisation routière" parue en 1974 (presque 40 ans !!!). Cette BD montre comment les embouteillages peuvent engendrer une vraie révolution urbaine à partir du moment où on les aborde d'une façon radicalement différente, au point d'aboutir à une nouvelle civilisation nomade vivant uniquement dans des mini-vans d'un nouveau genre - voir là.
Dans ce contexte, ma question est toute simple : pourquoi ne pas aborder de façons totalement nouvelles les embouteillages en les considérant autrement que comme de simples de temps vacuités ? Je n'ai évidement pas de méthodologie à proposer à ce stade de ma réflexion, mais je me dis simplement que j'aimerai mieux comprendre comment sont vécus aujourd'hui les embouteillages et surtout, comment demain il pourrait l'être de façon plus intelligente ?
J'ai été marqué lors d'un récent séjour à Beijing, par le fait que le quatrième périphérique est tellement embouteillé que les Pékinois l'appellent "le parking". On peut en rigoler. On peut aussi être tenté de repenser entièrement ce quatrième périph autour de ses embouteillages avec de nouvelles infrastructures - et c'est d'ailleurs ce que font certains, voir là.
A Lagos, une bonne partie de la vie est organisée autour des embouteillages qui sont la source de nouvelles logiques économiques informelles et très dynamiques - voir "Quand le bordel ..."
On peut aussi élargir la réflexion sur les embouteillages, en tentant des parallèles sur le thème "bureau = voiture" ou "bureau = parking", et ce plus particulièrement sur le plan de la consommation d'espace et de la consommation d'énergie. C'est notamment ce que fait de façon très brillante Raphaël Menard, directeur de la prospective du groupe Egis et co-gérant d'Elioth, dans le cadre de l'expo "Work in Process" avec les petits schémas ci-dessous. Ce que moi de mon côté je résume autour d'une question : et si les tours de La Défense n'étaient que des embouteillages verticaux ?
Et pour poursuivre le parallèle, il faut lire "Le Bureau vraiment intelligent "de Catherine Sabbah.
«Moins de 40 % des salariés disposent aujourd'hui d'un bureau fermé. Nous travaillons tous les uns près des autres, sans réelle maîtrise d'un environnement que nous subissons et supportons, plus ou moins bien. Aucun contrôle du bruit, de la température, de la lumière… et un mal-être au travail que traduisent parfois une baisse de la productivité, un absentéisme en hausse, une mauvaise ambiance… C'est ce manque de liberté individuelle sur un plateau de bureau - et ses conséquences - qui ont poussé les architectes de l'agence Enia associés au groupe industriel Saphyr à réfléchir à un poste de travail « pilotable » et la référence automobile n'est pas qu'une métaphore. "Si les gens continuent de prendre leur voiture, c'est aussi parce qu'ils se sentent libres dans la bulle personnalisée qu'ils recréent dans leur petit habitacle. Même dans les avions et les trains où justement l'espace est contraint et collectif, le confort passe par le sentiment de maîtriser, seul, quelques fonctions. (...) « Pour arriver à ce résultat, il faut évidemment connecter le meuble au bâtiment, là réside peut-être l'avenir de ce type de dispositifs. Il permet de reporter une partie de la technique de l'enveloppe immobilière vers le mobilier, donc de soustraire du coût de construction de l'immeuble certains terminaux qui deviennent individuels comme les ventilo-convecteurs et une partie des luminaires. »»
Vous l'aurez compris, l'idée de ce post n'est évidement pas de faire une apologie des bouchons, mais juste de se dire qu'il faudrait peut-être y réfléchir de façon un peu différente et surtout moins primaire que ce que font habituellement les boites d'études.
Pour les cas extrêmes, voir là.