Il y a deux façons de penser l'avenir des villes chinoises.
- La première est de partir du principe qu'elles vont continuer à croître en s'inspirant des codes occidentaux du XX° siècle : des grandes verticalités entourées de verdure et des quartiers anciens préservés pour les touristes. C'est en gros le modèle qui a débuté à Bangkok ou Singapore depuis trente ans (voir là), et qui se décline en Chine, notamment à Beijing et Shanghai, depuis à peu près 10 ans. Dans la capitale on reconstruit aujourd'hui des hutongs à quelques mètres d'immenses tours.
Et c'est ce qui devrait a priori continuer à se faire dans les années qui viennent.
C'est en tout cas ce que semble confirmer les images ci-dessus présentant ce qui devrait etre la future Beijing Bohai Innovation City, une cité satellite conçue dans le cadre du Bohai Economic Rim, et dont le master plan vient d'être confié à l'agence américaine SOM.
C'est du vu et du revu. Ca ressemble à ce qui pourrait se faire bientôt à Baietan, à Chengdu ou n'importe où ailleurs dans le monde (voir là).
- La deuxième façon est de faire l'hypothèse que, face aux immenses défis urbains qui les attendent (notamment celui d'intégrer 400 millions de nouveaux citadins en 20 ans - soit 20 millions de personnes par an !!!), les Chinois vont devoir inventer peu à peu des solutions différentes de ce qui se fait ailleurs.
Une hypothèse qui pourrait avoir un commencement de validation quand on observe la production de certaines agences chinoises d'architecture qui tentent peu à peu de proposer de nouvelles approches.
C'est le cas notamment de la jeune FangCheng Architects qui, dans le cadre de la compétition 1.100.10000 (1-Unit 100-families 10000-residents) destinée à réfléchir sur la façon dont la ville de Shenzen pourra remplir son objectif de construire 240 000 logements d'ici 2015 pour accueillir 800 000 nouveaux habitants (!!!!), a proposé le concept de Bridge Urban Life Typology. Une proposition qui revisite le concept de ponts habités pour en proposer une vision hyper-densifiée pouvant se décliner dans différents lieux de la ville (carte infra).
La proposition se décline autour de quatre concepts de ponts-habités : single bridge, mega bridge, platform bridge et cascading bridge.
Ces structures multi-fonctionnelles (habitats/commerce/loisirs et circulation) pourraient s'organiser comme de véritable coeurs urbains autonomes.
Single bridge
Mega bridge
Sur le plan graphique on ne peut pas s'empêcher de penser à certains configurations visibles à Tokyo (là), ou à ces empilements de containers qui ont inspiré aussi bien les architectes (là ou là) que certains auteurs de science-fiction.
Et je voudrais à ce titre vous proposer ci-dessous quelques lignes extraites du fascinant “Le Successeur de Pierre” de Jean-Michel Truong, dont je vous avais déjà parlé là, mais qui - me semble-t-il - permettent de porter un autre regards sur les images ci-dessus.
"Vu de l’extérieur, c’étaient des containers, en tout point semblables à ceux utilisés pour le transport des marchandise. A l’intérieur, ils étaient aménagés comme des caravanes. On les empilait au fur et à mesure sur les aires de stockage. Une fois en place, on les branchait aux circuits d’air conditionné, d’eau, d’électricité, d’évacuation des effluents, puis on les connectait au web.(...)
“Ces mégalopoles ressemblaient aux terminaux de fret de Marseille, Rotterdam ou Hong-Kong, montagnes de métal desservies par des myriades d’engins. En raison de leurs dimensions pharaoniques (certains) les avaient nommées “pyramides”, bien que leurs sommets tronqués évoquassent davantage les ziggourats assyriennes.
Typiquement, on comptaient dix milions d’occupants par “unité de survie”, mais le plus gigantesque de ces amoncellements - trois kilomètres de côté, douze cents mètres d’altitude - en abritait quarante cinq milions (...) la population entière des Etats-unis était concentrée dans onze pyramides, celle de la France dans trois, tandis que le peuple nippon tenait tout entier dans cinq.”
Ces lignes sont aussi à mettre en regard des objectifs de construction de logements définis par le gouvernement chinois pour la période 2011/2015 : 36 millions d'unités d'habitations (!!!). Ou quand face à des ambitions urbaines jusque là inconnues, certaines oeuvres de pure fiction semblent prendre une certaine réalité. J'aurai évidement pu aussi citer les réflexions de Yona Friedman, d'Archigram ou deConstant.
Alors Shenzhen sera-t-elle aux alentours de 2020 la première "city-bridge" au monde ? Je n'en sais rien, et à vrai dire qu'importe. Ce qui m'intéresse dans ce projet deBridge Urban Life Typology, c'est la façon dont les Chinois s'emparent peu à peu de certains concepts pour les transformer et inventer des solutions jusque là inédites, et rendre crédible ce qui ne semblait être ne devoir être qu'utopies pendant encore des décennies.
On reparle de tout cela lors de l'Atelier Transit-City du 9 mars prochain - voir là.