"Les zombies, qui prolifèrent aujourd'hui dans le nord (de l'Afrique du Sud), ne sont à cet égard pas les signes d'un retour aux " traditions " ou, pire, les restes d'une supposée " irrationalité " sud-africaine. Ils incarnent, au sens propre autant que figuré, l'une des réponses régionales aux évidences tacites du néolibéralisme, et notamment à ces idées très répandues selon lesquelles on peut consommer sans produire, s'enrichir sans effort, travailler sans s'inscrire dans un lieu et vendre son corps organe par organe.
Les zombies sont les plus flexibles et les moins protestataires des ouvriers ; leur disponibilité représente le comble de la main-d'oeuvre en régime néolibéral.
Inscrits dans un imaginaire mondialisé nourri de l'esthétique des films de Romero et des clips de Michael Jackson, ils exemplifient cette promesse d'accumulation presque magique de la richesse qui séduit toujours plus d'habitants de la planète.
En ce sens, le cas sud-africain est un révélateur inédit des économies de transition et, de façon plus décisive encore, le miroir grossissant d'une " culture du capitalisme " qui prospère dans le monde entier, avec son lot d'inconséquences et de superstitions."
Voilà ce que l'on peut lire au dos du passionnant livre "Zombies et frontières à l'ère néolibérale : Le cas de l'Afrique du Sud post-apartheid" de Jean et John Comaroff, couple d'anthropologues originaires d'Afrique du Sud et tous deux professeurs à University of Chicago. ( Accessoirement en lisant ce livre, on comprend mieux un film comme District 9, la figure de l'alien et du zombie étant très proche )
Si je vous parle de ce livre aujourd'hui, c'est que cela fait plusieurs années que je travaille sur l'hypothèse que si le monde a pris l'Occident pour modèle, il y a quand même de très très grande chance que de nombreuses métropoles de demain ressemblent plus à Sao Pauloqu'à Tokyo, San Francisco ou Oslo (Voir, Nairobi, a danish city ? )
Jamais les métropoles des pays émergents ne pourront atteindre le niveau de vie de ces villes occidentales, ne serait-ce que pour des raisons de limites des ressources naturelles (voir notamment là et là). A cela s'ajoute un nouveau capitalisme financier qui fait que si la planète est toujours plus riche, elle n'a jamais compté autant de pauvres, la croissance ne profitant qu'à une minorité ( voir, Captations ).
Dans ces conditions, étudier les pays émergents pour voir ce que produit le capitalisme actuel sur le plan urbanistique apparaît essentiel. C'est en tout cas un des axes que nous avons choisi de développer au sein de Transit City notamment avec un Atelier comme "Et si c'était en Inde que s'inventait une partie de notre avenir urbain ?".
C'est donc avec cette sensibilité que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt "Zombies et frontières à l'ère néolibérale", l'une des hypothèses de l'ouvrage, étant que les sociétés du sud - et donc notamment l'Afrique du Sud - sont "des laboratoires privilégiés de ce que sont déjà, ou en passe de devenir, les pays du Nord."
Une hypothèse que les Comaroff défendent et justifient dans un ouvrage à paraître prochainement titré justement "Theory from the South : Or, How Euro-America is Evolving Toward Africa"
Si le livre n'est toujours pas disponible, voilà sa présentation.
"The “Global South” has become shorthand for the world of non-European, postcolonial peoples. Synonymous with uncertain development, unorthodox economies, failed states, and nations fraught with corruption, poverty, incivility, and strife, it is that half of the world about which the “Global North” spins theories.
Rarely the “Global South” is seen as a source of theory and explanation for world historical events. Yet, as many nation-states of the Northern Hemisphere experience increasing fiscal meltdown, state privatization, corruption, ethnic conflict, and other crises,it seems as though they are evolving southward, so to speak, in both positive and problematic ways. Is this so ? How ? In what measure ? "
Stimulant. Et dans cette optique, l'évolution actuelle des villes africaines est passionnante à suivre (voir là et là ).
On y revient donc très bientôt !