Monday, January 10, 2011

L'HINDOUISME COMME EXPLICATION A L'URBANISME OFFSHORE DES RICHES INDIENS ?


Toutes les images de ce post sont de très récentes publicités indiennes et elles disent toutes la même chose : pour vendre un produit, en l'occurrence un logement ou une moto, à la nouvelles classe aisée indienne, il fait lui expliquer que celui-ci lui permettra de se déconnecter complètement de son environnement, et notamment des pauvres.

Vous me direz que ceci n'est pas propre à l'Inde, et que c'est même l'un des principes de base du marketing que de jouer sur la distinction. Certes, sauf qu'en Inde ce ressort de la distinction prend aujourd'hui un tour politique, car il est le fondement même de la nouvelle croissance urbaine indienne. Aujourd'hui, la nouvelle classe aisée n'a qu'une obsession, vivre loin de la masse dans un monde quasi off-shore.

Concrètement cela se traduit par l'émergence d'une multitude d'enclaves autarciques, soit sous formes de résidences, soit de vastes campus d'entreprises. Le summum étant la construction de mini-villes, comme je vous en avais déjà parlé avec Lavassa. Ces ilôts de richesse qui ne concernent qu'une petite élite de 60 à 80 millions d’habitants, ne sont évidement pas une exclusivité indienne, mais dans ce pays, ils tranchent réellement dans l’espace urbain et le structurent comme rarement ailleurs dans le monde.

Comme l'expliquait Eve Charrin lors de notre Atelier "Et si c'était en Inde que s'inventait une partie de notre avenir urbain ?", ces riches indiens "passent d’une île globalisée à l’autre, d’un centre commercial climatisé à la tour également climatisée d’une entreprise de service délocalisée, traversant l’océan de pauvreté locale qui les entoure à bord d’une voiture climatisée. Ils sont connectés au reste du monde par Internet à haut débit, mais séparés par une vitre d'un monde de miséreux qu’ils ne perçoivent guère comme leurs concitoyens."

Le résultat de la mentalité hiérarchique indienne, c’est qu’il n’y a pas en Inde d’idéal égalitaire, et que toute la communication des promoteurs immobiliers jouent là-dessus (voir les images supra). Ils leur vendent un monde hors-sols !

L’Inde est profondément élitiste, c’est une donnée fondamentale enracinée dans sa culture, dans la religion majoritaire, l’hindouisme, fondée sur un strict système des castes qui hiérarchise les hommes. S'ajoute à cela, toujours dans l'hindouisme, une véritable obsession de la pureté. D’où un certain individualisme, par opposition au sens du collectif, du semblable, du prochain.

L’hindouisme se soucie moins de la relation à l’autre que de purification de soi. Et ceci a des conséquences très directes dans l'organisation des villes.

Celui qui en parle le mieux est sans doute Pavan K. Varma, notamment dans son livre “La classe moyenne en Inde, naissance d'une nouvelle caste

Extraits.
Une propension à ne pas voir plus loin que son intérêt propre, sinon pour lorgner sur les privilèges des très riches, telle est la façon dont on pourrait définir l’état d’esprit de la classe moyenne indienne supérieure aujourd’hui en Inde.

Quoique identifié à un groupe plus large - la famille, la caste ou la communauté - l’Indien est généralement d’un égocentrisme outrancier, enveloppé dans son petit monde de pertes et de gains, aveugle à quoi que ce soit d’autre.

Pourquoi cette insularité dans les relations des Indiens vis à vis de la société ?

La plupart des indiens sont “hors du monde” seulement par leur indifférence à tout ce qui dans leur environnement ne bénéficient pas directement à leur univers immédiat et personnel.

Cet égocentrisme absolu se manifeste réellement dans leur étonnante tolérance face à l’inégalité, à la malpropreté et à la souffrance des êtres (...)

(...) “L’hindouisme ignore toute contribution de l’individu à la communauté en matière de quête et d’accomplissement spirituel. Dans l’hindouisme, l’accent porté sur le moi au détriment du groupe a largement contribué au retard pris par l’acceptation d’obligations mutuelles. A l’évidence, la religion n’est pas la seule en cause ; l’iniquité du système socio-éconmique a été et demeure un obstacle sérieux à une telle prise de conscience. Mais il est certain que la religion, telle qu’elle est pratiquée, n’a pas fourni de contrepoids moral permettant à l’individu d’identifier sa propre progression spirituelle au bien-être de la communauté.

Une seconde caractéristique de l’hindouisme est l’absence d’une source éthique unique et sans ambiguïté. La notion de péché ne fait pas partie de son lexique. Toute action considérée comme erronée dans un certain contexte est tolérée et même louée dans un contexte diférent. Il ne faudrait pas en déduire que l’hindouisme est amorale, mais plutôt qu’il prone un relativisme en la matière. 

S’ajoute à cela que le but de la libération finale (moksha) individuelle est du ressort de la bienveillance divine et peut donc se passer d’approbation ou de désapprobation extérieure.

De ce fait, la conscience sociale de l’hindou, en générale, et de ce celui de la classe moyenne en particulier, est sous-développée. L’interface avec la société n’est pas une priorité pour lui. Il ne voit pas bien pourquoi il devrait identifier son bien-être personnel à celui de son environnement, même immédiat.

Cette myopie a beaucoup d’avantage : moins on remarque, moins on est tenu par des obligations sociales, et puis moins on remarque, moins on est distrait de la poursuite impétueuse de son propre salut matériel. Si l’on veut vivre sa vie, il faut bien se protéger. Le mieux consiste à trouver un lieu à l’abri de la gêne causée par les conditions de vies et les tracas des autres. Qu’importe alors si, dans la capitale, où les ambitions et les désirs de la classe moyenne sont quotidiennement affichés, un tiers de la population vit dans des taudis et un quart d’entre elle n’a même pas accès à des toilettes publiques.
”.

C'est ce mépris des autres qui fait de l'Inde, et ce contrairement à l'image que veulent en véhiculer certains Occidentaux, l'un des pays les plus violents du monde (voir les très lucides analyses de Tarum Tejpal, l'auteur de "Histoire de mes assassins" et celles d'Aravind Adiga, l'auteur du "Tigre Blanc" ).

En terme de transport et de mobilité, cette cécité aux autres aboutit à une violence routière terrible avec plus de 100 000 morts tous les ans sur les routes, auxquels s'ajoutent 1,2 millions de blessés graves et 5,6 millions de blessés légers. (voir Quand Tata fait juste oops !)

Et là encore, c'est la publicité qui en donne la meilleurs illustration, avec, par exemple, ces annonces ci-dessous totalement irréelles, si ce n'est dans leur négation de l'autre, de la ville et de sa circulation. On est dans le summum de la mobilité hors-sol.


Question posée par Pavan K. Varma : "L’Inde peut-elle prospérer à long terme, si les sections privilégiés de la société civile refusent de prendre en compte ou de considérer comme priorité un problème extérieur à leurs étroites aspirations ?"

A méditer, notamment par tout ceux qui sont fascinés par la croissance indienne.