“Les trains sont les caravanes de ce nouveau monde.Ce texte est un court extrait de “Journal de l’an 1” écrit par J-M. G. Le Clezio pour un hors-série consacré à l'Europe publié en mai 1989 par Libération.
Qui aurait imaginé, il y a quelques années, que le train redeviendrait le moyen de transport préféré de la jeunesse ?
Les embouteillages inextricables des grandes villes, l’encombrement du ciel au-dessus des aéroports et peut-être aussi la mode ont tout changé.
L’avion c’est pour traverser l’Atlantique, pour aller au Japon ou en Inde.
Moi, j’aime la nuit dans les trains. La vitre froide où l’on appuie le front en cherchant à découvrir le paysage qui tangue, les lumières qui zèbrent l’horizon, les étoiles qui planent comme au dessus d’un navire.
J’aime entendre le bruit des bogies, le crissement des aiguillages, les ponts, les gares qu’on entrevoit pendant qu’on plonge dans un demi-sommeil.
J’aime les longs corridors vides où l’on fume une cigarette en attendant de regagner l’alvéole de la couchette, allumer la petite veilleuse et lire un livre, les mots qui s’embrouillent dans la mémoire, qui se mêlent au son des roues sur les rails.
Je suis allongé dans mon alvéole individuelle, j’ai laissé seulement la lueur bleue qui éclaire vaguement les murs.”
“Le train est plein de nomades, de gardiens ou de clochards qui errent à travers l’Europe. Abdel me dit qu’ils ne paient pas. Ils ont truqué les tickets magnétiques. S’ils sont pris, il font un ou deux jours de prison et ils recommencent. Ils n’ont pas de but, ils veulent bouger, c’est tout.
Ces trains lancés à trois cents kilomètres à l’heure à travers l’Allemagne, la Hollande, les Flandres, descendant vers le sud de la France, vers Rome, ou vers Barcelone, Malaga avec leurs convois de vaguants, cela a quelques chose d’extraordinaire, d’inquiétant et d’archaïque qui va bien au changement de siècle.
Cela fait penser aux vagabonds du Moyen Age, ou bien aussi à ces trains que capturait Pancho Villa et avec lesquels il avait fait la révolution mexicaine.”
“Ces trains superbes, peut-être la forme la plus achevée du progrès technologique, lancés dans la nuit à travers l’Europe, avec leurs salles vidéo, leurs salons, leurs télévisions et ces milliers d’alvéoles en Plexiglas, transportant ceux qui nient et exècrent le progrès, ceux qui veulent ruiner l’industrie polluante, ceux qui veulent jeter à bas les privilèges des technocrates.
Ce train qui fonce dans la nuit, emportant ses clochards, à travers la nature pillée et brûlée, vers des villes étouffantes, vers des zones désertiques, où ils ne trouveront jamais la liberté, ni l’innocence perdue.”
“Dans le train je marche le long des couloirs, je monte l’escalier vers l’impériale.
Nous traversons en ce moment à 260 kilomètres à l’heure la plaine immense de Westphalie, pareil à une mer dans la nuit.”
J'avais été tellement frappé à l'époque par ce texte, que je l'avais immédiatement saisi sur mon Mac et que je l'ai toujours gardé précieusement. Aujourd'hui je ne le regrette pas, d'abord car ce texte est introuvable, mais surtout parce que c'est, selon moi, l'un des plus beau texte qui n'est jamais été écrit sur le voyage en train.
On peut imaginer que ce texte annonce d'une certaine façon les grands voyages transcontinentaux que nous prépare le XXI° et sur lesquels travaillent déjà les Chinois avec leurs projets de liaisons en train à grande vitesse entre l'Asie et l'Europe. (voir aussi Et cela ressemblera à quoi le voyage dans 25 ans ?)