Pour prolonger mes récentes réflexions sur la forme des bidonvilles dans les années à venir (voir là), je voulais vous proposer ces quelques images tirées de l'exceptionnel et passionnant travail conduit par Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse sur la tour Ponte City située au coeur de Johannesburg (Plus de photos, là.)
Construite en 1976, année des premiers soulèvements de Soweto, elle fut désertée peu à peu après la fin de l'apartheid en 1994, par la bourgeoisie blanche qui l'occupait jusque là et qui fuyait l'insécurité du centre ville pour rejoindre les gated communities des banlieues riches du nord. La tour est ainsi devenue sur ses 54 étages un improbable lieu d'abandon, de prostitution, de squats en tous genres, de violence. En 2007, le bâtiment a été acheté par des développeurs qui promirent d'engager plus 300 000 000 rands de travaux afin d'attirer une nouvelle génération résidents, notamment les membres de l'émergente classe moyenne noire. Ils commencèrent par vider la moitié du bâtiment en jetant tous les gravats dans la partie centrale de la structure (voir photos) et redessinèrent les appartements. Mais à la fin 2008, leur tentative pour rénover et revitaliser Ponte City échoua et ils firent piteusement faillite. La tour abrite aujourd'hui une population très cosmopolite, mais totalement monochrome, on n'y compte aucun blanc. (Sur le retour timide des blancs dans le centre de Jo'burg, voir là)
C'est cette nouvelle Ponte City qu'illustre les deux photos ci-dessous, qui correspondent aussi à une nouvelle étape du travail du photographe et du plasticien sur cette tour iconique. "Subotzky and Waterhouse combine photography, historical archives, found objects, and interviews to create a body of work that spans the pre-history of the building, its spectacular decline, and the recent attempts at its transformation. The building is cast as the central character in a tangled narrative about Johannesburg’s magnetic pull on people from all over the continent." (Plus là)
Si je vous parle de cette tour dans ce post, c'est que son histoire reflète, selon moi, un phénomène de plus en plus courant dans les mégapoles du sud, celui de l'occupation plus ou moins légale des tours abandonnées, et la transformation de ces dernières en véritables bidonvilles verticaux, comme, par exemple, ci-dessous au coeur de Luanda, la capitale angolaise.
Je parle de phénomène récent car jusqu'à ces dernières années, les tours étaient - et sont encore très majoritairement - les symboles de la réussite économique et de la richesse. (voir, là ou là). Une des rares exceptions était la fameuse São Vito de Sao Paulo (photos ci-dessous), transformée en favela verticale depuis plus de vingt ans.
Mais la crise de 2008 a peu à peu bouleversé les choses en entraînant dans un certain nombre de villes du sud, notamment Bangkok ou Resistencia en Argentine le brusque arrêt de la construction de certaines tours dont les promoteurs avaient déposé le bilan. Ces bâtiments, plus ou moins finis, sont devenus au fil des ans de véritables alternatives pour des populations pauvres en mal de logements.
L'un des cas les plus emblématique de cette évolution est la fameuse Torre de David de Caracas, à laquelle Domus a consacré un excellent reportage, là. (Voir aussi le très bon post publié récemment par Léopold Lambert)
Et ci-dessous, extraits de "Au coeur du plus grand squat du monde"
"La tour Confinanza (premier nom de la torre de David - ndlr), la plus haute de Caracas avec ses 47 étages, se voit de loin. Dressée en plein centre des affaires de la capitale vénézuélienne, elle n’accueille pas des bureaux comme ses voisines mais plus de deux mille squatters…
Sans façade ni ascenseur, l’immeuble a été abandonné en pleine construction en 1994 lorsque son promoteur a fait faillite. Plus de dix ans après, quand Clarisse Flores, mère célibataire, a su qu’un groupe d’«envahisseurs», comme on les surnomme au Venezuela, prenait possession de la tour, elle n’a pas hésité une seconde à les rejoindre. «Je louais une toute petite chambre dans un barrio (ndlr: quartier pauvre de Caracas), où il n’y avait pas assez de place pour moi et mes cinq enfants», raconte-t-elle. «L’insécurité était terrible, chaque jour je voyais des jeunes passer dans la rue une arme à la main.»
Comme les autres squatters, elle a choisi un étage et y a construit au fil des mois sa vivienda, son foyer. Tous les habitants, jusqu’au 28e étage, le dernier occupé, ont dû transporter leurs matériaux de construction par les escaliers. Chacun a monté ses murs de moellons rouges, tendu un bout de tissu devant les ouvertures des portes et fenêtres, et fait venir par leurs propres moyens l’eau et l’électricité. Afin d’empêcher les chutes mortelles qu’a connues l’immeuble à ses débuts, tout nouvel habitant doit aujourd’hui s’engager à construire une rambarde pour son balcon.(...)
(...) Les quelques 600 familles se sont organisées en coopérative pour le nettoyage des étages et des escaliers, la sécurité ou encore les motos-taxis, qui transportent, grâce à une rampe d’accès, les habitants jusqu’au dixième étage. Chaque foyer paye 100 bolivares par mois de charges, et bien entendu aucun loyer…"
Évidement devant de telles images, on peut imaginer de nombreux scenarii urbains, notament celui de villes riches qui, sous l'influence d'une grave crise économique, verraient leur quartier d'affaires s'effondrer et leurs luxueuses tours se transformer en bidonvilles. Certains l'ont déja imaginé et illustré avec la fameuse tour Swiss Ré installée au coeur de la City de Londres - voir ci-dessous. (Plus, là)
Une des autres pistes de réflexions serait de regarder autrement les images de ruines urbaines comme celle-ci dessous, en ne les voyant pas comme des images de catastrophe, mais au contraire comme le point départ de nouveaux développements architecturaux et urbains. (Voir sur ce sujet, Next cities, Destroy the tower et The next incredible London ? )
Une image de ruines ou de bâtiment en démolition peut, en effet, parfois prendre un tout autre sens quand elle est confrontée à une image de chantier.
Entre tour abandonnée et construction modulaire semble ainsi pouvoir peut-être se dessiner de nouvelles hypothèses pour demain, comme le montre certains projets tel celui de Vertical Slum, illustrée ci-dessous et qui n'est pas sans rappeler celui-ci, celui-ci ou celui-ci.
Ca serait l'étape suivante et plus professionnelle de l'auto-construction décrite supra dans la plus grande tour de Caracas. Voir, par exemple, là.
De façon plus glauque, voir aussi Dystopia favela
Et pour ceux qui trouveraient ces pistes de réflexions sur les nouvelles formes des bidonvilles du futur, un peu vaines, je les incite juste à regarder les deux tableaux ci-dessous qui ont le grand mérite de rappeler certaines réalités trop souvent oubliées.
Proportion de la population mondiale vivant dans un bidonville
Proportion de la population urbaine mondiale vivant dans un bidonville