- Pas un jour ne passe sans que l'on nous annonce une nouvelle application sur mobile censée nous rendre la mobilité toujours plus facile et plus fluide.
- Pas un jour ne passe sans toute une batterie d'articles ou de grandes prédictions, nous annonçant que la mobilité de demain sera connectée et prédictible et que ca sera forcément - d'une façon ou d'une autre - un mieux.
- Pas un jour ne passe sans qu'un grand groupe - IBM, Cisco ou Google - ne tente de renforcer cette illusion : demain pas de mobilité possible sans écran.
Face à ce déferlement d'annonces et de promesses, restent beaucoup de questions, dont celles-ci :
- Pourquoi cette obsession et cette volonté d'être toujours connecté ?
- Pourquoi vouloir à tout prix que la mobilité soit fluide ?
- Pourquoi ne plus pouvoir imaginer un déplacement sans GPS ?
D'où, de nouvelles hypothèses :
- Et si fondamentalement cette course à la technologie disait totalement autre chose que ce qu'elle promet ?
Face à ce déferlement d'annonces et de promesses, restent beaucoup de questions, dont celles-ci :
- Pourquoi cette obsession et cette volonté d'être toujours connecté ?
- Pourquoi vouloir à tout prix que la mobilité soit fluide ?
- Pourquoi ne plus pouvoir imaginer un déplacement sans GPS ?
D'où, de nouvelles hypothèses :
- Et si fondamentalement cette course à la technologie disait totalement autre chose que ce qu'elle promet ?
- Et si cette course à l'infomobilité cachait en fait une vraie fatigue face aux déplacements et à la mobilité ?
- Et si cette course à l'infomobilité indiquait que si la mobilité est au coeur de nos vies, elle est aussi très souvent mal vécue ?
- Et si cette course à l'infomobilité rejoignait le rêve d'avoir un corps plus performant permettant de nier cette fatigue des déplacements et du corps en permanence en mouvement ?
- Et si nous étions las de nos corps humains, et que nous rêvions tous de devenir des cyborgs ? - voir là.
- Et si à la fatigue "d'être soi" s'ajoutait désormais "la fatigue d'être mobile" ?
Ces questions ne sont pas forcément nouvelles et ce n'est évidement pas dans un post que je vais tenter d'y répondre.
Je voulais juste ici les poser pour alimenter la réflexion et - surtout - vous proposer la synthèse de la très stimulante intervention faite par le philosophe Jean-Michel Besnier lors de l'Atelier Transit-City organisé le mai 4 dernier sur le thème "C'est quoi demain un corps humain ?"Une bonne part des questions posées dans ce post sont très directement issues des analyses de l'auteur de "Demain les posthumains".
- Et si cette course à l'infomobilité indiquait que si la mobilité est au coeur de nos vies, elle est aussi très souvent mal vécue ?
- Et si cette course à l'infomobilité rejoignait le rêve d'avoir un corps plus performant permettant de nier cette fatigue des déplacements et du corps en permanence en mouvement ?
- Et si nous étions las de nos corps humains, et que nous rêvions tous de devenir des cyborgs ? - voir là.
- Et si à la fatigue "d'être soi" s'ajoutait désormais "la fatigue d'être mobile" ?
Ces questions ne sont pas forcément nouvelles et ce n'est évidement pas dans un post que je vais tenter d'y répondre.
Je voulais juste ici les poser pour alimenter la réflexion et - surtout - vous proposer la synthèse de la très stimulante intervention faite par le philosophe Jean-Michel Besnier lors de l'Atelier Transit-City organisé le mai 4 dernier sur le thème "C'est quoi demain un corps humain ?"Une bonne part des questions posées dans ce post sont très directement issues des analyses de l'auteur de "Demain les posthumains".
"Tout philosophe issu de la tradition platonicienne l’admettrait : le corps est l’indice d’une insupportable finitude, un obstacle au désir d’absolu et d’éternité censé caractériser ce qu’il y a de plus digne en l’homme. D’où le fait que la plupart des sagesses – qu’elles soient occidentales ou orientales - invitent à faire abstraction du corps afin d’en émanciper l’âme ou de lui permettre de coïncider avec le grand Tout.
A l’aube de la Modernité, le dualisme cartésien a réactivé la disqualification traditionnelle du corps, en le rapportant à l’animal en nous et en lui réservant un statut exclusivement mécaniste. Par la suite, même lorsqu’ils combattront le dualisme pour privilégier une conception de la matière dotée de sensibilité et susceptible de produire l’intelligence la plus élaborée, - les philosophes resteront convaincus que le corps représente la part d’hétéronomie en nous, celle qui hypothèque les perspectives d’émancipation auxquelles nous aspirons. En d’autres termes, l’autonomie qui constitue l’idéal des Modernes devait, d’une manière ou d’une autre, en finir avec le corps. De là à envisager que nous n’avons depuis lors d’autre obsession que celle de mettre à la raison ce qui nous limite, voire de l’effacer, il n’y a qu’un pas. Au fond, l’obsession du corps parfait que traduisent tant de nos contemporains ne dit rien d’autre que ce refus de la finitude qui réside au cœur de toute métaphysique.
La question reprend toute son actualité à l’heure où les développements technologiques laissent augurer une posthumanité qui nous dispenserait de naître, de souffrir et de mourir. Je cite là les trois ingrédients des prophéties transhumanistes qu’on formule dans l’environnement des centres de recherches axées sur des programmes du type NBICs
Le transhumanisme dessine un avenir où le corps n’aura plus sa part, ni non plus aucun des déterminismes qui nous rivent à la nécessité et font de nous de simples donnés naturels. Le fantasme de l’homme remodelé, augmenté puis intégralement auto-fabriqué, appartient plus que jamais à l’imaginaire d’aujourd’hui. Il est la conséquence logique des illusions générées par la Modernité.
Les signes de l’évacuation du corporel sont évidemment discutables et paradoxaux : à côté des excès de l’hygiénisme, du souci de l’asepsie ou du recours croissant à la crémation qui révéleraient à leur manière la décision d’éliminer le charnel – « la viande », comme disent brutalement les transhumanistes -, on objectera que le body-building, par exemple, ou la pratique des arts martiaux suggèrent une hyper-attention au corps, de même que l’intérêt porté aux modes vestimentaires ou aux régimes alimentaires, quand ils n’invitent pas à l’anorexie.
Mais ces derniers signes révèlent aussi bien une concession au conformisme, voire l’attirance pour une standardisation qui équivaut à neutraliser la singularité attachée au corps vécu, au fait d’être ce corps-ci plutôt que celui-là. Car c’est cela que devrait dénoter le corps s’il était accepté : la revendication du sans pareil, de la différence inaltérable voire de l’hyper-individualisation. Or, cette revendication fait de plus en plus défaut dans nos sociétés soumises aux idéaux égalitaires jadis décrits par Tocqueville. De nombreux symptômes pourraient indiquer ce renoncement à endosser la position d’un unique et sans-pareil : ainsi, de plus en plus de nos contemporains seraient disposés à souscrire aux thèses du célèbre biologiste Richard Dawkins soutenant que nos organismes ne sont ni plus ni moins que de simples réservoirs à gènes, des gènes qu’ils doivent transmettre et optimiser dans la mesure du possible. Le corps, dans cette perspective, n’est rien de plus qu’un simple container à gènes ! Et il est indifférent d’être ce corps-ci plutôt que ce corps-là, pourvu que l’on soit en mesure de véhiculer de bons gènes.
De leur côté, les spécialistes des sciences de l’information et de la communication, comme Pierre Lévy, se font un plaisir de nous expliquer qu’avec le triomphe d’Internet et des technologies du virtuel, le corps se trouvera dématérialisé et apparentable à une flamme circulant de proche en proche, dans le cyberespace. Le corps ainsi réduit au statut d’information volatile, pourrait pour cette raison, se prétendre enfin spiritualisé et satisfaire une pulsion d’anéantissement toute mystique. Il y a bien sûr ici beaucoup de naïveté et il n’est pas sûr qu’en éliminant ainsi le hardware, on sauvegarde le logiciel, comme l’ont objecté les philosophes inspirés par la phénoménologie aux cogniticiens qu’on qualifie d’ « éliminativistes » parce qu’il soutiennent que l’esprit se confond avec le cerveau, de sorte qu’un ordinateur qui simulerait le fonctionnement du cortex assurerait les performances cognitives dont l’homme se prévaut.
C’est une source de surprise que de constater cette naïveté qui consiste tout de même à prétendre penser encore la relation esprit-corps en termes dualistes, malgré les enseignements de la phénoménologie issue de Husserl. Et pourtant, dans le monde des ingénieurs high tech, chez les théoriciens de l’intelligence artificielle, la chose n’est pas rare. Comme si elle traduisait une conception irrationaliste du monde – une conception qui serait symptomatique d’une situation émotionnelle telle que les utopies posthumaines s’en nourrissent.
Je formulerais à cet égard une hypothèse : Il y a au fond des utopies posthumaines une lassitude d’être ce qu’on est, une manifeste fatigue d’être soi, une désaffection pour « ces significations vivantes », dont parle Merleau-Ponty, qui exigeraient qu’on veuille s’incarner dans l’histoire, qu’on s’implique dans les expériences qui façonnent l’individualité. Dans ces utopies – que je préférerais nommer « dystopies » - on admet comme une bonne nouvelle le fait que l’homme vive peut-être ses dernières heures. Je prendrai à témoin l’analyse du sociologue Alain Ehrenberg qui considère que notre temps vit sous le signe de la dépression, d’une impuissance à vivre que pourrait expliquer la propension de nombreux internautes à rechercher les occasions d’endosser des avatars, d’engager des vies de substitution, grâce notamment aux technologies du virtuel. à l’abstraction et à la désubstantialisation des individus.
Telle serait bien l’issue ultime de cette fatigue d’être soi dont on identifie sans difficulté le symptôme dans les fantasmes transhumanistes. Abandonnons l’idéal d’autonomie qui nous contraint à devoir « tout choisir et tout décider ».
Confions-nous à la perfection de nos machines qui doivent à présent nous relayer. Günther Anders a baptisé, en 1956, la pathologie dominante aujourd’hui : « la honte prométhéenne » - (in "L’obsolescence de l’homme.")
Le nom résume l’essentiel : « la honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ».
Le programme de transformation du corps qui résulte de cette honte d’être soi – seulement soi – et qui entend le mettre en phase avec les machines, relaie aux yeux de G. Anders l’ambition des métaphysiques de toujours qui aspirent à dépasser la finitude humaine : « Les folles exigences que l’homme impose à son corps pour le rendre capable d’accomplir les folles tâches que lui imposent ses instruments ressemblent étonnamment à ces folles exigences que les métaphysiciens spéculatifs imposaient autrefois à la raison : dans un cas comme dans l’autre, on a ignoré le fait que les capacités de l’homme étaient limitées. Ici aussi, des limites doivent être repoussées ou franchies. Sauf que, cette fois-ci, l’homme ne prétend pas être omniscient « à l’égal de Dieu », mais vise à devenir semblable à l’instrument, c’est-à-dire « l’égal d’un gadget » »
De ce remodelage, je ne dirais pas grand-chose, sinon que ceux qui en ont étudié les différents aspects – comme Vance Packard, en 1977, dans "L’Homme remodelé" ou, beaucoup plus récemment, comme Hervé Kempf en 1998, dans "La Révolution bioéthique" – ont rarement manqué d’apercevoir l’inclination à l’eugénisme qui sous-tend les techniques d’intervention sur le corps – un eugénisme décomplexé que Habermas qualifiera de « libéral » parce qu’il correspond à l’individualisme et au consumérisme caractéristiques de notre époque.
Un eugénisme qu’on présente parfois comme un devoir à rendre à nos enfants et qu’on trouve de moins en moins indécent de référer à Francis Galton (1822-1911), le sulfureux cousin de Darwin et l’inspirateur de l’eugénisme nazi, expliquant qu’ « il est devenu désormais tout à fait nécessaire de procéder à l’amélioration de l’espèce humaine, l’individu moyen étant trop inférieur aux tâches quotidiennes que requiert la civilisation moderne »
Voilà bien l’argument décisif : si l’homme doit être perfectionné et si pour cela, il faut le débarrasser de son corps, c’est avant tout pour qu’il puisse se montrer digne des machines qu’il a inventées et dont il a peuplé son environnement. Le transhumanisme peut s’engouffrer dans la brèche ouverte par cette aspiration à l’eugénisme.
Une intelligence non biologique dominera bientôt (sans doute, en 2030). Nous aurons d’abord les moyens de transformer radicalement nos corps, grâce à des milliards de nanorobots qui circuleront dans notre sang, dans notre corps, dans notre cerveau. Ces nanorobots « détruiront les agents pathogènes, corrigeront les erreurs de notre ADN, élimineront les toxines et effectueront toutes sortes d’autres tâches pour améliorer notre bien-être physique »
Ils interagiront avec nos neurones biologiques, avant de pouvoir les remplacer et de générer des organismes plus durables, plus performants et à peu près inusables. Se dessinera la version 2.0 du corps humain où les organes biologiques, comme le cœur ou les poumons, seront remplacés par « d’autres ressources nécessaires au fonctionnement des systèmes nanorobotiques ».
Notre transformation en cyborgs sera alors en voie d’achèvement
Le biologique se sera alors effacé devant l’intelligence non-biologique. L’attachement au corps sera décidément devenu archaïque et nous aurons toute latitude pour en changer à volonté.
Ray Kurzweil prédit là, sérieusement, l’émergence du corps humain version 3.0 – un corps équipé d’ordinateurs quasi invisibles qui capteront des signaux venant d’environnements virtuels, tout aussi réels pour eux que s’ils venaient du monde des corps physiques. Le cerveau interprétera ces signaux au même titre que les stimuli sensoriels constitutifs de toute expérience véritable. Rien de plus simple, dans ces conditions, que de changer d’apparence physique et de devenir quelqu’un d’autre.
Quelle différence serait-il encore permis de faire entre le couple cerveau-corps biologiques, auquel on attache communément la conscience, et l’association ordinateur-corps virtuel qui gérerait des signaux simulant les transformations opérées dans l’organisme biologique par des stimuli sensoriels ? Il est difficile de répondre autrement qu’en invoquant un principe de réalité un peu facile : nous ne sommes pas encore capables de réaliser les fantasmes du transhumanisme.
Certes, mais le pouvoir d’anticipation de Ray Kurzweil ne se laisse pas arrêter par l’objection : « Avec un corps version 3.0 capable de se transformer en différentes formes à volonté, et un cerveau majoritairement non biologique, qui n’est plus contraint à l’architecture limitée dont la biologie nous a équipés, la question de savoir ce qui est humain fera l’objet d’une reconsidération poussée. On ne saurait mieux dire, en effet…"