Thursday, November 15, 2012

MICRO-MULTINATIONALE DU FUTUR ?

Pour prolonger mon récent post sur la création par l'US Army de micro-usines nomades, je voulais vous proposer ces quelques lignes.
«En 2050, beaucoup d’entreprises commenceront à ne plus avoir de base sédentaire et à être, comme leurs salariés, de plus en plus nomades, virtuelles, délocalisées. 
À l’horizon 2050, dans les pays du Nord,
- 20 % des entreprises seront nomades, employant des salariés nomades ;
- 40 % des sièges sociaux traditionnels auront disparu ;
- 95 % des entreprises auront équipé leurs salariés d’équipements connectés. 
Ces entreprises se détacheront d’une base nationale et deviendront nomades. 
Elles cesseront d’être hiérarchisées pour devenir labyrinthiques ; d’être uniformes pour devenir des conglomérats d’entreprises locales produisant, à la demande, des biens sur mesure.  
Ce seront, pour l’essentiel, des réseaux de travailleurs nomades aux contrats de travail extrêmement ténus. » - "L’Avenir du travail", Paris, Fayard, 2007.

Face à ces lignes d'horizon sur l'évolution du monde du travail, on peut soit s'effrayer (type : "Demain, on est tous des cyborgs appartenant à un vaste lumpen prolétariat nomadisé") ou soit au contraire se réjouir (type : "Demain, on est tous des nomades branchés et libres d'aller travailler où on veut.")

On peut aussi imaginer les choses sous des formes différentes en regardant par exemple ces deux photos. Des photos de ce qui pourrait très bien préfigurer les micro-multinaltionales du futur qui, bien loin du monde des geeks et des start-up de la Silicon Valley, seront dotées d'un savoir-faire exceptionnel et capables de diffuser leurs produits aux quatre coins de la planète. Evidement ces entreprises utiliseront le net et toutes les techno nomades, mais celles-ci ne seront pas au coeur de leur métier ni au coeur de la création. Juste des outils, parmi d'autres

Et pour continuer à réfléchir il faut lire absolument l'excellent "Makers : La nouvelle révolution industrielle" de Chris Anderson, dont je tire les lignes ci-dessous
"La grande opportunité du mouvement Maker est la possibilité d'être à la fois petit et mondial. A la fois artisanal et innovant. A la fois high-tech et low-cost. (...) Et surtout, de créer le genre de produits que le monde désire sans le savoir encore, parce que ces produits s'inscrivent mal dans l'économie de masse du modèle ancien."
Ce post ne se veut pas une apologie de l'artisanat, mais juste tenter de montrer qu'il est très facile de sortir des imaginaires dominants vendus par les industriels pour imaginer d'autres scenarii sur le futur du travail que ceux communément déployés depuis quinze ans autour du seul net. Et qu'il est probablement urgent de dessiner des lignes de développement pour le futur autour du small.

On peut, en effet, très bien imaginer que demain de plus en plus d'actifs refusent le système dominant actuel de la big company et du stress permanent et inventent d'autres modèles de production plus low-tech.
« Si l’on part du principe qu’il doit y avoir une hiérarchie, que celle-ci doit être incarnée, que les organisations vont continuer à croître et que le monde sera toujours plus connecté, arrivera alors fatalement un moment où aucun être humain ne sera en mesure de suivre le rythme. Et les quelques-uns qui seraient capables de s’en approcher ne le voudraient même pas. » - Thomas Malone - chercheur au MIT.
Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet des modes de production dans le futur, voir l'excellent "An innovation agenda to help people win the race against the machines".

Ce post renvoie aussi à "l'imagination questionnante", et - dans l'aspect "refus du système dominant" à "Very bad trip at the office" et "Revolt at the office".

Et pour continuer la réflexion, je vous propose un long extrait "Makers : La nouvelle révolution industrielle" de Chris Anderson.
"Il y a changement transformatif quand une industrie se démocratise, quand elle sort du seul domaine des entreprises, administrations et autres institutions pour se mettre à la disposition des gens ordinaires. 
Ce cas de figure n’est pas nouveau : on le voit se produire juste avant que des industries monolithiques ne se fragmentent face à de nouveaux entrants petits mais innombrables, comme on l’a vu dans l’industrie de la musique et la presse écrite. Abaissez les barrières à l’entrée et les foules se précipitent. 
Tel est le pouvoir de la démocratisation : elle met les outils entre les mains de ceux qui sont les plus à même de les utiliser. Chacun de nous a ses propres besoins, ses propres compétences, ses propres idées. Si nous avions tous la possibilité d’utiliser des outils pour couvrir ces besoins, ou de les modifier en fonction de nos idées, nous découvririons collectivement toute l’étendue de ce qu’un outil peut faire. 
L’internet a démocratisé l’édition, la radio et les communications, entraînant un accroissement massif de la participation et du nombre de participants à tout ce qui est numérique : la Longue Traîne des bits.À présent, le même phénomène se produit dans l’industrie manufacturière : la Longue traîne des choses. 
Mon premier livre La Longue traîne, portait justement là-dessus – le basculement de la culture vers des biens de niche – mais principalement dans le monde numérique. Pendant la plus grande partie du siècle écoulé, la diversité naturelle et le choix de produits tels que musique, films et livre ont été occultés par les limites matérielles des systèmes de distribution traditionnels que sont les librairies, les chaînes de radiotélévision et les cinémas. Mais une fois ces produits disponibles en ligne dans des boutiques numériques aux « rayonnages » illimités, la demande a suivi : fini le monopole du best-seller. 
Le marché de masse de la culture s’est transformé en une longue traîne de micro-marchés, comme tout adolescent d’aujourd’hui vous le confirmera volontiers (nous sommes tous des labels indépendants à présent !). 
En bref, notre espèce s’avère bien plus diverse que les marchés du 20e siècle ne l’indiquaient. Si le choix disponible dans les magasins de notre jeunesse était limité, ce n’était pas parce que les goûts humains l’étaient aussi mais parce que les exigences économiques du commerce de détail l’imposaient. Nous sommes tous différents, nous éprouvons des désirs et des besoins différents, et il y a place pour tous sur l’Internet, ce qui n’est pas le cas sur les marchés physiques.Le numérique n’était pas seul concerné, bien sûr. L’Internet a aussi allongé la traîne des marchés de produits physiques pour les consommateurs. Mais il l’a fait en révolutionnant la distribution et non la production. 
La limitation du choix de biens physiques au 20e siècle était due à trois goulets d’étranglement – on ne pouvait acheter que les choses qui répondaient à trois conditions : 
1. Elles étaient assez demandées pour que les industriels les fabriquent. 2. Elles étaient assez demandées pour que les commerçants les aient en magasin. 3. Elles étaient assez demandées pour que vous les trouviez (via des annonces ou dans les vitrines des magasins des environs). 
Comme Amazon l’a montré, le web pouvait être directement utile pour les deux dernières de ces conditions. 
D’abord, avec leurs entrepôts de distribution spécialisés et plus tard avec l’entreposage décentralisé assuré par leurs fournisseurs tiers qui prennent en charge toute l’exécution des commandes, Amazon et les autres ont pu proposer bien plus de produits que n’importe quel distributeur physique. (Comme les premiers vendeurs sur catalogue, mais sans être limités par le nombre de pages d’un document expédié par la poste.) 
Deuxièmement, l’adoption des moteurs de recherche en tant que mécanisme de découverte a permis aux gens de trouver des produits qui n’étaient pas nécessairement assez demandés pour légitimer leur présence dans des magasins « en dur » traditionnels. 
Dans le même temps, eBay en a fait autant pour les biens d’occasion, d’innombrables commerçants en ligne spécialisés sont apparus et Google a fini par les agréger au sein d’un outil idéal pour trouver n’importe quoi. Aujourd’hui, le web a déjà fait naître une longue traîne de produits qui rivalise celle des produits numériques. Les goulets d’étranglement 2 et 3 ci-dessus ont largement disparu. 
Qu’en est-il du premier goulet d’étranglement, la fabrication de produits plus variés ? Eh bien, le web a été utile là aussi. Sa capacité à saisir une « demande diffuse » (c’est-à-dire portant sur des produits pas assez demandés en un endroit donné pour que les magasins physiques les détiennent, mais qui devient significative dès qu’on parvient à agréger la demande du monde entier) a permis à des fabricants de trouver des marchés pour des biens qui sans cela n’auraient pas satisfait aux conditions de la distribution traditionnelle. Davantage de produits de niche ont donc été fabriqués car ils pouvaient trouver une demande suffisante en se vendant en ligne à un marché mondial. 
Mais ce n’était qu’un début. Rappelez-vous que la vraie révolution du web n’a pas été seulement la possibilité d’acheter plus de choses avec plus de choix mais de faire ses propres choses que d’autres pourraient consommer. La multiplication des caméras numériques a entraîné celle des vidéos diffusées sur YouTube, tandis que des outils numériques pour micro-ordinateurs en faisaient autant pour la musique, l’édition et le logiciel. N’importe qui pouvait fabriquer n’importe quoi s’il avait assez de talent. Disposer d’outils et de moyens de distribution puissants n’était plus une barrière à l’entrée. Avec du talent et de l’énergie, vous pouviez trouver un public, même si vous ne travailliez pas dans la bonne entreprise ou si vous n’aviez pas le bon diplôme.Dans le cas du web, ces « choses » étaient et restent essentiellement de la créativité et de l’expression sous forme numérique : mots, images, vidéos, etc. Elles sont en concurrence avec les biens commerciaux, non sur le terrain de l’argent, mais sur celui du temps. Un blog n’est pas un livre, mais en fin de compte, c’est aussi un moyen de distraire et d’informer. Le plus grand changement de la décennie écoulée a été le déplacement massif du public vers la consommation de contenus amateurs et non plus professionnels. L’essor de Facebook, de Tumblr, de Pinterest et de tous les autres n’est rien moins qu’un détournement massif d’attention au détriment des entreprises de contenus commerciaux du 20e siècle et au profit des entreprises de contenus amateurs du 21e siècle. 
La même évolution affecte à présent les biens matériels. Les imprimantes 3D et autres outils de prototypage de bureau sont l’équivalent des caméras et des outils de retouche musicale. Ils permettent à quiconque de créer des pièces uniques pour son propre usage. Comme le disait le web-entrepreneur Rufus Griscom, fondateur de Babble.com, « c’est la renaissance du dilettantisme ».Au même moment, les usines du monde entier s’ouvrent, proposant des fabrications à la demande via le web à quiconque dispose d’un modèle numérique et d’une carte de crédit. Elles permettent à une toute nouvelle catégorie de créateurs de se lancer dans la production, de transformer leur prototype en produit sans avoir à construire leur propre usine ni même à avoir leur propre entreprise. La production manufacturière est devenue un « service cloud » comme un autre : depuis un navigateur web, vous pouvez utiliser une petite fraction d’une vaste infrastructure industrielle quand vous en avez besoin et comme il vous convient. Quelqu’un d’autre gère ces usines auxquelles vous avez accès au moment de votre choix, de même que vous faites appel aux énormes fermes de serveurs de Google ou d’Apple pour stocker vos photos ou acheminer vos courriers électroniques. 
Pour le dire en langage de théoricien, les chaînes logistiques mondiales sont devenues « à échelle libre » (scale-free), elles sont au service aussi bien du petit que du grand, de l’inventeur amateur que du groupe Samsung. Ce qui signifie, en langage non théorique, que rien ne vous empêche de fabriquer quoi que ce soit. Les moyens de production sont désormais aux mains du peuple. Comme le dit Eric Reis, auteur de Lean Startup, Marx s’est trompé, « l’important n’est plus la propriété des moyens de production. C’est la location des moyens de production » 
Ces chaînes logistiques ouvertes sont le pendant de l’édition web et du e-commerce d’il y a dix ans. Le web, d’Amazon à eBay, a révélé une longue traîne de la demande pour des biens physiques de niche ; à présent, les outils de production démocratisés ouvrent la voie aussi à une longue traîne de l’offre."