Les superbes et quelque peu surréalistes photos ci-dessous, sont issues de la série Totems réalisée par Alain Delorme à Shanghaï.
"Sous le ciel bleu d’un Shanghai acidulé, les hommes traversent la ville charriant des amoncellements improbables. Ces colonnes précaires faites de cartons et de chaises apparaissent comme les nouveaux totems d’une société en pleine transformation, à la fois usine du monde et nouvel eldorado de l’économie de marché." souligne dans un très beau texte, l'historienne de la photographie Raphaële Bertho. "Du trottoir à l’immeuble, les différents plans s’échelonnent de manière régulière entre les différentes temporalités urbaines : celle du quotidien, de l’éphémère, du mouvement incessant des passants et celle du changement urbain, des chantiers et des nouveaux bâtiments, qui s’inscrit dans un rythme plus lent."
On peut voir dans ces images totalement autre chose. Moi, personnellement, j'y ai vu la vision d'un certain avenir, ni souhaitable ni haïssable, mais simplement possible. Un avenir qui serait lié à une augmentation du prix de l'énergie qui rendrait une bonne part de nos mobilités et donc de nos systèmes de distributions, économiquement insoutenable. C'est aujourd'hui un scénario peu probable à court terme - quoique ... - mais qui m'a toujours trotté dans la tête notamment en voyageant en Asie, où a toujours existé des réseaux de portages et de livraisons fondés le vélo et la marche. Et ceci est vrai aussi bien au Japon, qu'en Thaïlande, en Indonésie ou en Malaisie.
Aujourd'hui ce genre de pratiques trouve une nouvelle jeunesse, dans les pays occidentaux. Le vélo cargo redevient à la mode - parfois avec un petit moteur électrique, voir là - dans certaines grandes villes américaines, en Europe du Nord, mais aussi dans certaines villes comme Londres ou Paris. C'est encore très anecdotique, certes, - sauf à Copenhague - mais c'est un mouvement croissant soutenu par certaines enseignes de la grande distribution ou de colis express. (voir, là).
En Chine, il n'est pas rare de croiser plusieurs fois par jour, même dans les plus grandes villes envahies par les voitures, des porteurs à palanches transportant tout type de charges (voir par exemple, ce reportage de la télé suisse sur Chongqing, là).
Mais c'est au Vietnam, et particulièrement à Ho Chi Minh Ville, que le phénomène est aujourd'hui le plus visible et plus quotidien. Et c'est d'autant plus marquant que les porteuses - car on voit essentiellement des femmes, les hommes sont en motos ! - semblent faire cela avec un naturel et une facilité qui pour moi reste mystérieux. On ne retrouve pas ces images de souffrance, comme on en voit souvent en Inde, notamment avec les dabbawala.
Et là encore, soit on regarde ces photos, comme la survivance d'un passé appelé à disparaître totalement dans les années qui viennent, soit on les raccroche à une autre actualité comme, par exemple, celle de la mise au point par le laboratoire Berkeley Bionics d'un exosquelette destiné aux tétraplégiques, le eLegs (photo ci-dessous).
Si on croise les images de ces porteuses vietnamiennes avec celles de cet exosquelette, on arrive, en effet, à des scenari pour le futur totalement innovants, et qui ne sont pas sans rappeler les travaux menés actuellement au Japon.
En effet, les Japonais qui ont adopté la roue très tard (voir, Et si pour les Japonais, la roue n'était qu'une parenthèse ?), conduisent depuis plusieurs années des travaux passionnants autour des exosquellettes conçus et imaginés comme de véritables moyens de locomotion (voir, New exo-mobility by Honda). Cette idée se diffuse aujourd'hui peu à peu, notamment via les jeux vidéo de type Gundam Suit ou certains films de super héros américains, comme Iron Man (voir, Quand le super-héros américain se japonise). Et là, tout d'un coup, on ne regarde plus les porteurs à palanche de la même façon.
Ces réflexions s'inscrivent dans le cadre de nos travaux sur Light Mobility et sur l'inversion des modèles de mobilité (voir, par exemple, là et là).