"En ce début de siècle 21, nous autres, huit milliards d’humains, asservissions la nature avec passion. Nous lessivions les sols, acidifiions les eaux, asphyxiions les airs. Un rapport de la Société zoologique britannique établissait à 60 % la proportion d’espèces sauvages disparues en cinq décennies. Le monde reculait, la vie se retirait, les dieux se cachaient. La race humaine se portait bien. (…)
La dégradation du monde s’accompagnait d’une espérance frénétique en un avenir meilleur.
Plus le réel se dégradait, plus retentissaient les imprécations messianiques. Il y avait un lien proportionnel entre la dévastation du vivant et le double mouvement d’oubli du passé et de supplique à l’avenir.
« Demain, mieux qu’aujourd’hui », slogan hideux de la modernité.(…)
Les hommes politiques promettaient des réformes (« le changement », jappaient-ils !), les croyants attendaient une vie éternelle, les laborantins de la Silicon Valley nous annonçaient un homme augmenté.
En bref, il fallait patienter, les lendemains chanteraient.
C’était la même rengaine : « Puisque ce monde est bousillé, ménageons nos issues de secours ! » Hommes de science, hommes politiques et hommes de foi se pressaient au portillon des espérances. Les trois instances – foi révolutionnaire, espérance messianique, arraisonnement technologique – cachaient derrière le discours du salut une indifférence profonde au présent. Pire ! elles nous épargnaient de nous conduire noblement, ici et maintenant, nous économisaient de ménager ce qui tenait encore debout. Pendant ce temps, fonte des glaces, plastification, mort des bêtes.
« Fabuler d’un autre monde que le nôtre n’a aucun sens. » J’avais noté cette fusée de Nietzsche en exergue d’un petit calepin de notes."
"La Panthère des neiges" - Sylvain Tesson.
Dans le prolongement de cela.