Et si pour de nombreux noirs sud-africains, il n'y avait pas de réelle différence entre la prison et le monde extérieur ?
C'est toute la question que pose l'extraordinaire travail du photographe Mikhael Subotzky en mettant en écho l'urbanisme des townships (ci-dessus), ces zones crées par le régime de l'apartheid en périphérie des villes et réservées aux non-Blancs, et l'architecture des prisons (photos ci-dessous). "Pour de nombreux détenus et anciens détenus, la vie en Afrique du Sud est tellement difficile que le mur séparant la prison et la liberté paraît, en effet, très mince. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, beaucoup d'hommes et de leurs familles vivant autour du Cap sont coincés dans un cycle de désespoir", explique l'écrivain Jonny Steinberg
Le travail de Subotzky est donc de confronter ce que les prisonnier appellent l'"Umjiegwana" (l'extérieur) avec le "die Vier Hoeke" ("les quatre coins", soit la cellule). Cette césure lexicale, qui trouve son origine dans l'histoire des gangs de prisonniers, a aujourd'hui une vraie dimension politique.
"Les jeunes hommes décrivent la politique et les espaces de leurs ghettos dans la langue de prisons, les quartiers devenant ainsi peu à peu l'équivalent des prisons.La surpopulation et la violence qui règnent dans les prisons sont des réalités tellement connues et intégrées par tous en Afrique du Sud, qu'elles sont aujourd'hui des thèmes utilisées comme argument contre .. l'alcoolisme au volant, avec pour accroche un assez terrifiant "They'd love to meet you ! " (voir ci-dessous).
La raison de cette inversion est simple. L'Afrique du Sud est devenue une société de l'incarcération de masse, ce qui signifie que de nombreux jeunes hommes sont tenus de passer les deux premières décennies de leur vie adulte dans et hors de prison en vertu de l'endroit où ils ont grandi. Dans leur quartier, Die Vier Hoeke et Umjiegwana ont été confondus, car ils en sont venus à former des parties égales de l'expérience vécue.
Le jour où le gouvernement de l'apartheid a cédé le pouvoir en avril 1994, les prisons d'Afrique du Sud logeaient 116 000 personnes. Une décennie plus tard, 184 000 personnes étaient derrière les barreaux, alors que le système est conçu pour n'en accueillir que 114 000. Environ quatre sur cinq de ces personnes passeront la première moitié de leur vie adulte à passer de Umjiegwana à Die Vier Hoeke, et de Die Vier Hoeke à Umjeigwana." (texte de J. Steinberg in extenso, là)
Les visuels de la campagne, réalisée par l'agence FoxP2, semblent directement issues du travail de Mikhael Subotzky, mêmes plans, mêmes tons chromatiques ... La grande différence étant que l'un dénonce une situation intenable, alors que les autres ne font que l'utiliser.
Mais cette campagne semble aussi s'inscrire dans une démarche beaucoup plus large de diabolisation du monde carcéral, comme tendrait à le prouver une récente initiative visant à faire visiter les prisons aux adolescents installés dans les quartiers difficiles, afin de les dissuader de rentrer dans un gang !! (voir là)
Rappelons, juste, quatre chiffres pour mieux comprendre, mais, évidement, pas justifier cette situation :
- 43 % des sud africains vivent toujours sous le seuil de pauvreté.
- 25,3 % de la population active est officiellement au chômage, mais selon l'OCDE le taux réel serait plutôt de 40% si l'on inclut toutes les personnes ayant renoncé à chercher du travail.
- 72% des sans-emplois officiels ont moins de 35 ans.
- 46 personnes sont tuées chaque jour en Afrique du Sud du fait de la très forte criminalité qui règne dans le pays, et plus particulièrement dans les townships.
Sur les réalités urbaines d'Afrique du Sud, voir aussi là.