(...) "Il y a toujours eu des itinérants, des vagabonds, des bourlingueurs, des âmes errantes incapables de tenir en place. Mais aujourd’hui, au vingt et unième siècle, on assiste à l’émergence d’une nouvelle tribu de voyageurs. Des gens qui n’auraient jamais pensé devenir nomades un jour se retrouvent bien malgré eux sur la route. Ils sont obligés de quitter leur maison ou appartement pour vivre dans ce que certains appellent des « résidences sur roues » : vans, camping-cars d’occasion, bus scolaires, campers 4 × 4, mobile homes et même bonnes vieilles berlines."
(...) "Certains les qualifient de « sans domicile fixe ». Mais les nouveaux nomades, eux, rejettent cette appellation. Pourvus à la fois d’un toit au-dessus de leur tête et d’un moyen de transport, ils ont opté pour un autre terme : « sans adresse fixe », qui leur semble plus conforme à la réalité de leur situation." (...)
(...) "Et ils reprendront la route en méditant une fois de plus cette vérité : en Amérique, les derniers endroits gratuits sont les parkings." (...)
"Il n’existe aucun chiffrage précis du nombre de nomades aux États-Unis. Ce type de population représente la bête noire du démographe. Sur le plan statistique, ils se fondent dans le reste de la population puisque la loi exige d’eux qu’ils conservent une adresse fixe – autrement dit, fausse. (...)
(...) Quelle que soit l’ampleur de leurs pérégrinations, les nomades doivent être officiellement « domiciliés » quelque part. Votre état de résidence est celui où est immatriculé votre véhicule, celui où vous procédez aux contrôles techniques, là où vous faites renouveler votre permis de conduire, où vous payez vos impôts, où vous votez, où se trouve votre caisse d’assurance maladie (sauf pour les adhérents à Medicare) et où vous devez procéder à une litanie d’autres formalités. Or le fait de vivre nulle part vous permet de vivre n’importe où, du moins sur le papier. (...)
(...) Malgré l’absence de chiffres officiels, de nombreux indices convergent pour indiquer que le nombre d’itinérants américains a considérablement augmenté depuis l’effondrement du marché immobilier et ne cesse de grandir." (...)
(...) "Parmi tous les programmes de recrutement destinés aux travailleurs-campeurs, le plus offensif est sans conteste CamperForce, la plateforme spéciale créée par Amazon. (...)
(...) Jeff Bezos a prédit que, d’ici 2020, un nomade américain sur quatre aurait déjà travaillé pour Amazon. (...)
(...) Amazon n’hésite pas à essaimer des stands de recrutement dans les événements fréquentés en masse par les nomades – type salons du camping-car et autres festivals – dans plus d’une dizaine d’États à travers le pays. Les recruteurs, affublés de tee-shirts CamperForce, distribuent tracts, stickers promotionnels, carnets de post-it, éventails en papier, baumes à lèvres, calendriers et manchons en néoprène pour canettes. Tous ces objets sont bien sûr estampillés du logo CamperForce : un camping-car Amazon en mouvement." (...)
(...) "J’ai longtemps cru que les conducteurs de camping-cars étaient de braves retraités sillonnant tranquillement les routes d’Amérique pour faire du tourisme et profiter de leur temps libre après des décennies de dur labeur. Après tout, « RV » (le terme anglais qui signifie camping-car) est l’abréviation de « recreational vehicle ». Ces joyeux retraités existent toujours, mais ils ont été rejoints par un nouveau genre de nomades. La plupart des occupants du Desert Rose RV Park n’étaient pas là pour faire du tourisme." (...)
(...) "Les travailleurs-campeurs sont des employés bouche-trous, c’est-à-dire l’idéal pour les employeurs à la recherche de main-d’œuvre saisonnière. Ils apparaissent juste où et quand on a besoin d’eux. Ils apportent leur propre maison avec eux et transforment des parcs de mobile homes en villages d’entreprise éphémères qui se vident une fois le boulot terminé. Ils ne restent pas assez longtemps pour se syndiquer." (...)
(...) Ces campements Amazon sont "comme le microcosme d’une catastrophe nationale. Les parcs de camping-cars étaient remplis de travailleurs ayant été brutalement dépossédés des éléments de confort de la classe moyenne qu’ils avaient toujours tenus pour acquis. Ils étaient représentatifs de toutes les mésaventures économiques qui avaient affecté les Américains au cours des dernières décennies. Chacun avait son propre récit. (...)(...) Les campements Amazon appartiennent à une catégorie qui a connu une croissance alarmante au cours des dernières années : les Américains seniors, mobiles et déclassés." (...)
C'est passionnant.
C'est une description de ce que depuis 2015 nous qualifions chez
Transit-City d'
hyper lieux mobiles ®, c'est à dire une description de
ces lieux qui se créent et se réinventent de façon plus ou moins provisoire par le flux, la mobilité et la multi-activité -
Du "non lieux" à "l'hyper lieux" puis "l'hyper lieux mobile ®"
Cela raconte d'autres vies et
un autre nomadisme - celui des déclassé et des pauvres - très éloigné de la branchée et souvent très narcissique
van life.
C'est la prolongation d'une longue histoire politique américaine.
C'est un autre rapport au territoire.
C'est un autre rapport au travail.
C'est une autre face de ce nouvel urbanisme de camping car.
C'est un élément de plus dans ce nouvel urbanisme de parking émergent.
C'est aussi un autre éclairage sur le nouvel urbanisme temporaire en pleine croissance.
Mais c'est aussi le reflet d'un vrai basculement dans notre façon de penser le monde et l'architecture.
C'est aussi la preuve du rôle croissant des acteurs dits de la "nouvelle économie" dans l'urbanisme et l'architecture.
C'est, enfin, la confirmation de notre hypothèse que dans les années qui viennent, nous allons devoir travailler sur un VUCA Urbanism.