Tuesday, May 12, 2020

SPORT AS A MOBILITY SERVICE ®

Parfois certains interviews ont le grand mérite de synthétiser quelques idées forces

C'est le cas de celui que j'ai accordé il y a quelques semaines à Uzbek & Rica .


Le voilà. 
Q - Dans vos écrits, vous dites que nous sommes entrés dans "le siècle du corps" : qu’est-ce que cela signifie concrètement ? 
F.B : Les deux siècles qui viennent de s’écouler étaient les siècles de la machine. 
À l’époque, remplacer des corps en mouvement par des engins motorisés a permis la formation de grandes puissances qui ont dominé le monde.  
Mais, aujourd’hui, ce modèle s’essouffle et la technique est pointée du doigt comme responsable de la destruction de la planète. 
Parallèlement, les grandes idéologies politiques et religieuses se sont effondrées. Le corps est donc tout ce qui nous reste aujourd’hui. On se dit : "Demain est incertain, mais au moins moi je serai en forme".  
Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, l’homme moderne, c’est celui qui court et qui prend soin de lui, pas celui qui reste assis dans sa voiture -
En société, dire que l’on travaille dans le secteur du sport attire davantage l’intérêt que dire que l’on est employé du secteur automobile. Et, quand un médecin nous demande notre métier, la sédentarité de l’activité est perçue comme une tare, un handicap.  
Q - À ce propos, y a t-il un lien entre activité physique et activité professionnelle ?
F.B : Au XIXe et XX e  siècles, les premiers clubs de sport ont été montés par l’Église, l’armée puis le Parti communiste. Ces entités voulaient structurer la société et contrôler le monde, et leur stratégie passait par la promotion du sport auprès des individus. 
Aujourd’hui ces idéologies se sont effacées pour être remplacées par ceux de la réussite individuelle et l'idéalisation du corps performant.   
Or, depuis les années 1980, la sédentarité liée au travail nous a donné envie de « retrouver notre corps». 
Les entreprises doivent maintenant répondre à ce besoin, en réunissant les conditions nécessaires à la pratique du sport. 
Sur ce sujet, il y a de multiples manières de faire et des milliers de scénarios à imaginer. 
Les entreprises doivent également encourager la mobilité quotidienne des employés. Je milite par exemple pour les baskets de fonction : aujourd’hui l’employeur devrait rembourser les baskets de ses salariés au même titre que sa voiture ou son indemnité kilométrique -  
Comment est-il possible que la fiscalité encourage encore le fait d’avoir une voiture polluante d’une tonne et demie, et pas des paires de baskets ? Qu’elle incite à construire des parkings plutôt que des vestiaires ? - .
Q - Vous parlez du concept de motri-cité ® : en quoi est-ce différent de celui de mobilité ?  
F.B : Actuellement, quand on parle de mobilité, cela désigne un tas de choses, dont la voiture autonome et le téléphone mobile. 
Mais je voulais remettre le corps en mouvement au centre de la pensée sur la mobilité, d’où l'utilisation de la notion de "motricité" -   
Et pour accentuer cette réflexion sur le corps en mouvement dans son contexte urbain, j’ai créé le concept de "motri-cité ®".  
J’ai eu recours à la même gymnastique pour le mot "trans-sport ®" - . L’idée était de détacher la notion de transport de la question du déplacement motorisé.  
Ces deux concepts sont des des moyens d’attirer le regard sur le fait que le sport devient un mode de déplacement - . 
C’est un moyen d’inviter les entreprises à arrêter de subventionner les déplacements motorisés ou de payer des voitures de fonction et à encourager plutôt l’achat de vélos ou de vélos cargos. 
L’employeur devrait rembourser les baskets de ses salariés au même titre que sa voiture ou son indemnité kilométrique.  
Q - Le trans-sport ® fait évoluer la notion même de sport ? 
F.B : On a vécu 100 à 120 ans avec l’idée du sport comme sport de compétition.  
Notre imaginaire est encore conditionné par la compétition, mais cela tend à changer.  
Aujourd’hui, beaucoup de gens ne se reconnaissent pas dans les Jeux Olympiques -  
En France, les sports dits « rapides » concernent une minorité de personnes, la majorité pratique plutôt la marche, la randonnée...  
D’ailleurs, un des derniers modèles de baskets sorti par Nike est destiné aux gens qui veulent courir lentement (running slow) - La marque a compris que l’enjeu aujourd’hui pour beaucoup ce n'est pas d’être winner mais finisher 
Tout cela participe aussi d’un sport plus inclusif, adapté aux seniors, aux personnes en surpoids, aux individus en situation de handicap.  
Il faut construire un nouvel imaginaire autour du sport comme élément de la vie quotidienne, et pas seulement comme une parenthèse d’une heure dans la semaine, où l’on enfile son jogging pour aller courir sur un tapis.  
Le sport irrigue notre quotidien -  
D’ailleurs, il existe tout un tas de peuples qui continuent à parcourir 7 à 9 km par jour dans aucun problème, à la manière des civilisations pré-moteur - . 
Q - À vous entendre, il semblerait qu’à l’avenir travail, sport et civilisation soient encore plus liés ? 
F.B : Le travail comme l’activité physique vont devoir s’adapter à la nouvelle donne climatique -  et . 
Historiquement, l’humain s’est toujours battu contre le froid et la nuit, or, aujourd’hui, l’équation s’inverse et les pics de chaleur nous obligent à repenser nos temps de travail et notre manière de faire du sport -  
Par exemple, je crois au retour de la sieste : demain, on travaillera de 7h à 11h puis de 16h à 21h. Puis on rentrera chez soi en courant dans la fraîcheur de la nuit. C’est déjà le cas dans certaines villes, comme à Phoenix, où les habitants commencent à travailler de nuit, et où le top départ du dernier marathon a été donné avant le lever du soleil - .
La recherche de la fraîcheur guidera nos manières de nous dé placer, de faire de l’exercice et de travailler : à Paris, la Seine sera sans doute l’une des dernières zones de fraîcheur - . 
Qui sait, en 2027, elle pourrait enfin être réinvestie par les kayaks et les paddles, et connaître à son tour des heures de pointe quotidiennes de rameurs et de kayakistes ? - .