Saturday, August 09, 2008

DÉCHETS


Pour faire suite à mon post Un monde sans catastrophe, je vous propose les extraits d'une récente réflexion sur les déchets nucléaires du philosophe et sociologue Ulrick Beck auteur du passionnant "La Société du risque".
Il y a deux ans, le Congrès américain a créé une commission d'experts chargée de développer un langage ou un symbolisme susceptible d'avertir des dangers que représenteront les dépôts de déchets nucléaires américains dans dix mille ans.

Le problème à résoudre était de déterminer la façon dont les concepts et les symboles devaient être conçus afin de transmettre un message à des générations qui nous succéderont dans plusieurs milliers d'années. Cette commission comprenait des physiciens, anthropologues, linguistes, neuroscientifiques, psychologues, biologistes moléculaires, érudits classiques, artistes, etc.

Les experts cherchèrent des modèles dans les symboles remontant aux premiers âges de l'humanité. Ils étudièrent la construction de Stonehenge (aux alentours de 1 500 av. J.-C.) et celle des pyramides ; ils examinèrent la façon dont Homère et la Bible avaient été historiquement perçus.
Mais tous ces exemples ne remontent qu'à deux millénaires, pas à dix mille ans. Les anthropologues recommandèrent d'adopter le symbole du crâne et des tibias entrecroisés. Mais un historien fit aussitôt remarquer que pour les alchimistes le crâne et les tibias symbolisaient la résurrection, et un psychologue se livra à une expérience avec des enfants de 3 ans : si le symbole était apposé sur une bouteille, ils s'exclamaient d'un air anxieux : "Poison !", alors que lorsqu'il était fixé au mur, les bambins s'écriaient avec enthousiasme : "Pirates !"

Même notre langage, on le voit, est inadapté lorsqu'il est confronté au défi d'alerter les futures générations sur les dangers que nous avons introduits dans le monde avec l'utilisation de l'énergie nucléaire. Et, de ce point de vue, les acteurs qui sont censés garantir la sécurité et la rationalité - l'Etat, la science et l'industrie - jouent un jeu extrêmement ambigu. Ce ne sont plus des personnes de confiance mais des suspects. Car ils exhortent la population à monter à bord d'un avion pour lequel aucune piste d'atterrissage n'a été construite à ce jour.


Le texte publié par Le Monde est consultable .