" Le désert du Sahara a de tout de temps été parcouru du sud vers le nord comme du nord vers le sud. Mais ces axes transsahariens sont aujourd'hui réanimés par un commerce d'une autre nature, empruntés par des aventuriers d'un genre nouveau.
Ces nouveaux nomades sont entassés dans un bus à destination de Tripoli, agrippés par dizaine à l'arrière d'un "pick-up" avançant tous phares éteints dans les plateaux rocailleux vers la frontière algérienne. Parcourant, l'espace d'une traversée, le no man's land sahélien aux confins du Tchad, du Niger et du Mali dans les déserts algériens et libyens, ils y côtoient peuples nomades, forces militaires en tous genres, rebellions, trafiquants d'armes, de drogues, de cigarettes ... et de migrants. Agadez, poste avancé dans le Sahara nigérien et véritable hub migratoire international, verrait ainsi passer chaque année quelques 65 000 Africains en route vers la côte méditerranéenne.
Ces néonomades sont les pionniers d'une vaste recomposition des schémas de déplacement. Outre des lieux de départ et de transit, les grandes villes du Maghreb, de Rabat au Caire en passant par Oran, Annaba et Tripoli, deviennent aujourd'hui des lieux d'immigration en tant que tels. On estime que seulement 20 à 40 % des migrants transsahariens parviennent en Europe, leurs prédécesseurs travaillaient quelque temps dans les grandes plateformes migratoires du Magrheb, avant de poursuivre leur périple. De plus en plus souvent, les migrants s'y installent."
C'est quelques lignes sont extraites du livre "Le Temps de l'Afrique" de Jean Michel Sévérino et Olivier Ray.
C'est une autre mobilité, celles des pauvres, dont on parle peu, mais qui pourtant va se développer très fortement dans les années qui viennent, surtout en Afrique.
Sur ce sujet, s'il vous intéresse, voir "Migrations transsahariennes - Vers un désert cosmopolite et morcelé" de Julien Brachet dont je vous propose un extrait ci-dessous.
"Alors que nous traversions lentement le Ténéré à raison d’une quinzaine d’heures quotidiennes de marche et de monte alternées, nous avons croisé cinq ou six énormes camions, surchargés de bagages et de passagers en provenance de Libye. Les plus jeunes des caravaniers ont alors quitté le groupe et se sont mis à longer les traces des véhicules afin de récupérer « ce qui tombe des camions, car quand quelque chose tombe, les chauffeurs ne s’arrêtent pas ». La récupération fut maigre mais anima les discussions du soir, chacun y allant de son commentaire à propos de ces voyageurs qui, depuis l’époque de la rébellion, traversaient le Ténéré pour se rendre en Libye. Certains ont alors évoqué les transformations que ces migrations avaient engendrées dans une oasis proche de celle où nous nous rendions : « avant les caravanes elles allaient même à Dirkou, […] mais maintenant à Dirkou tu ne peux pas y aller, y’a un très grand marché, on égorge même des chameaux, il y a tout là-bas » (Ounos, Ténéré, 2.10.2003). Après plusieurs jours passés à Arrigui et Bilma à observer les échanges entre oasiens et caravaniers, je décidai de ne pas repartir avec ces derniers vers le massif de l’Aïr afin de séjourner quelque temps dans cette oasis où ils ne pouvaient ou ne voulaient plus aller. Je me rendis donc à Dirkou et découvris une petite ville où il y avait effectivement « tout », et surtout « tout le monde », dont des migrants originaires d’une quinzaine de pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.".Vous pouvez aussi jeter un coup d'oeil là.