Friday, June 25, 2010

LE PARK


"LE PARK se trouve sur une île privée au large de Bornéo. Sa superficie de 624 km2 correspond à peu près à la taille d'une mégapole comme Djakarta. On y accède, depuis les ports de Malaisie, par bateaux rapides ou, de n'importe où dans le monde, par avions long-courrier qui, dans un fracas de trains d'atterrissage, se posent sur un aéroport international flambant neuf.

Kalt, son propriétaire russe, a fait fortune dans l'industrie d'armement et du divertissement, secteurs économiques qui, en dépit de leur apparente hétérogénéité, ne sont pas si étrangers l'un à l'autre, eu égard aux techniques de vente et aux stratégie de distribution qu'ils impliquent. Il s'est fait un nom il y a quelques années lorsqu'il a ouvert dans la banlieue nord de Moscou, entre un échangeur autoroutier tentaculaire et une immense ferraille tenue par des Kazakhs taciturnes, le premier parc de loisir consacré au travail en usine. A l'entrée, dans un immense vestiaire de style soviétique, les visiteurs pouvaient revêtir un bleu de travail et, avec l'aide d'animateurs qualifiés, s'amuser à fraiser une pièce, conduire une machine, fondre de l'acier, assembler un moteur. cela a amusé le plus grand nombre, et le succès a rapidement été au rendez-vous.

Puis, fort de cette réussite, avec l'allant que procure l'expérience victorieuse, cette sorte de confiance en soi démesurée qui incite a tout oser sans se poser de questions, il a créé d'autres parcs aux thématiques originales : le Chantier Enchanté où les clients s'adonnent, après une rapide initiation, au maniement ludique d'excavatrices, grues, tracto-pelles, goudronneuses, foreuses hydrauliques, nacelle élévatrices, tarières automotrices, rouleaux compresseurs, camions chenilles ; ou le Ghetto Noir, dans lequel sont reproduites avec une minutie invraisemblable, qui frise la réplique parfaite, les conditions de vie dans une banlieue sinistrées, gangrenée par les trafics de drogue, la guerre de gangs et les combats de pitbulls.

Le ParK relègue définitivement ces parcs aux oubliettes aussi insolites soient-ils.
"

Ces quelques lignes sont extraites des toutes premières pages du "Park", le dernier livre de Bruce Bégout, ce très fin analystes des formes extrêmes des nouvelles modernités urbaines (voir , et )
Mais cette fois-ci c'est en romancier, et non en philosophe, que Bégout s'attaque au thème du parc d'attraction et ce de façon particulièrement décapante et cinglante. Son Park est, en effet, une vaste allégorie de notre situation urbaine dans tout ce qu'elle peut avoir de pire et de catastrophique. On y retrouve d'ailleurs beaucoup de thèmes abordés dans ce blog, comme le montre cet extrait ci-dessous que j'ai enrichi de liens vers différents post plus ou moins récents.
"de nouvelles perspectives se dévoilaient sans cesse : aéroports mosquées en feu (), assemblages titanesques de containers portuaires (), gratte-ciels immergés (), noeuds autoroutiers tentaculaires (), paquebots-villes (), chekpoints nocturnes (), favelas verticales (), polders célestes (), prisons-jardins (), etc"

C'est donc exactement tout le contraire du monde magique, aseptisé et rassurant des Dreamlands. Dans le ParK tout est fait pour déstabiliser.
"Fragment13

(…) l’architecture ne doit plus avoir pour but de constituer un abri, un refuge solide et durable contre les éléments et les événements, contre l’adversité, mais d’exposer l’homme au danger, de le mettre en péril, d’inverser l’hospitalité en hostilité.

La beauté d’un bâtiment se jugera à sa capacité d’inquiéter ses résidents."

Le Park c'est donc un Disneyland revu et corrigé par JG Ballard associé à William Gibson.

Mais c'est aussi la face fictionnesque - et encore plus sombre - des oeuvres de Mike Davis (voir, entre autres, ou ).
On est pas non plus très loin de cela.

Moi j'ai adoré.